GÉNÉRALITÉS SUR LE MORTIER CHAUX/SABLE

Le rôle de l’enduit chaux/sable

Avant de commencer, voici quelques définitions (adaptées du dictionnaire, dont les versions complètes sont données en fin d’article) qui pourront dissiper des confusions fréquentes.

MORTIER – n.m. : Mélange réalisé avec un granulat fin (souvent du sable), un ou deux liants hydrauliques et de l’eau. [N.B. tous les enduits sont des mortiers. Mais tous les mortiers ne sont pas des enduits. Certains mortiers servent, par exemple, à assembler les pierres d’un mur de maçonnerie].

PERMÉABILITÉ – n.f. : Aptitude d’une roche à se laisser traverser par l’eau. [N.B. on nomme l’inaptitude, imperméabilité. Mais vous le saviez déjà, n’est-ce pas ?]

PERMÉANCE – n.f. : Aptitude d’une paroi à se laisser traverser par la vapeur d’eau. [N.B. On peut aussi dire que la perméance est la perméabilité à la vapeur d’eau].

PERSPIRATION – n.f. : Évaporation de l’eau à la surface de la peau après transpiration.

Le terme de « perspirance » est parfois utilisé à la place de perméance. Il s’agit d’un abus de langage qui naît probablement de la concaténation des mots perspiration et perméance, ces deux termes désignant un phénomène similaire, l’un propre au corps humain, l’autre au bâtiment.

Ce rapprochement sémantique est toutefois compréhensible, tant l’enduit de mortier chaux/sable a un comportement similaire à la peau humaine. En effet, le rôle de l’enduit comme de la peau est d’empêcher le cheminement de l’eau de l’extérieur vers l’intérieur (imperméabilité), tout en permettant à un éventuel excès de l’humidité de transiter de l’intérieur vers l’extérieur (perspiration de la peau, perméance de l’enduit, ). En d’autres termes, l’enduit de mortier chaux/sable permet au bâtiment de transpirer.

Toutefois, ce phénomène de perméance se dégrade considérablement dans le cas des enduits de mortiers bâtard qui comprennent plus de 5 % de ciment dans le mélange.

De manière générale, tous les maçons spécialistes du bâti ancien consultés pour la rédaction cet article (toutes les références utilisées sont listées en fin d’article) recommandent de ne pas incorporer la moindre truelle de ciment pour les enduits de mortier chaux/sable à appliquer sur les maçonneries en pierre.

Ouvrabilité, durabilité et fin de vie de l’enduit chaux/sable

OUVRABILITÉ – n.f. : Capacité de mise en œuvre d’un mortier frais. Cette qualité est caractérisée par la plasticité et la maniabilité du mortier. Elle diminue à mesure que le mortier sèche.

L’ouvrabilité des enduits à base de chaux hydraulique naturelle (NHL) est d’environ une journée. Il est possible de prolonger cette durée en ajoutant de l’eau au mélange, s’il commence à sécher. Après son application, l’enduit fait sa prise au bout d’une semaine. Pour les enduits à base de chaux aérienne, la prise définitive a lieu au bout de 6 mois.

[N.B. Chaux hydraulique, chaux aérienne, chaux vive, chaux éteinte,… tous ces termes se mélangent dans votre esprit ? On vous explique tout en quelque minutes ici].

Un enduit à la chaux réalisé dans les règles de l’art peut durer au moins 100 ans. Clément-Louis Treussart, officier du génie chargé de l’érection et l’entretien des places fortes au début du XIXème siècle, considère même que « le mortier [à la chaux] qui n’a pas cent ans est encore un enfant ». C’est donc un ouvrage que vous ne réaliserez qu’une fois dans une vie (si vous suivez bien les règles de l’art que l’on vous présente après. Enfin, vous faîtes comme vous voulez, mais si j’étais vous, je le ferai… !).

A ce stade, notez toutefois que l’on ne peut désormais plus poursuivre la métaphore avec la peau. En effet, sous la gravité et avec l’âge, notre peau se relâche.

Force est de constater que, visiblement, la peau ne se relâche pas de la même manière pour tout le monde. Toutefois, il se peut que le chirurgien de Rambo n’ait pas lu cet article et ait mis plus qu’une truelle de ciment dans son mélange... © Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc (1985) ; Leon Bennett (2021)

A l’inverse, l’enduit se rafermit au fil des année, sous l’effet de la carbonatation. Pour rappel, la carbonatation est la réaction qui transforme la chaux en calcaire sous l’effet du dioxyde de carbone naturellement présent dans l’air (pour les curieux.ses, plus d’informations sur ce phénomène et sur la chaux en général ici). Ce processus chimique permet à la chaux de retrouver sa forme calcaire originelle. Il est donc tout à fait possible de remettre l’enduit chaux/sable dans la nature ou de le réduire en poudre pour l’incorporer à la confection d’autres mortiers.

Nous le disions, pour faire un enduit de mortier chaux/sable centenaire, il convient de respecter les règles de l’art. Et comme nous sommes des gens charmants chez Croisée d’Arches, nous vous les avons listées ci-dessous. Cette liste de 6 règles de l’art est une synthèse de documents techniques, de traités historiques et contemporrains, de retour d’expérience d’artisans, d’architectes et d’ingénieurs (toutes les ressources utilisées sont répertoriées à la fin de l’article).

Aussi, la comparaison du mortier chaux/sable avec la peau a montré ses limites. Nous allons désormais filer une métaphore culinaire. Sans plus tarder, mettons nous à table !

Règle n°1 : Travailler avec de la vaisselle et des ustensiles propres

Il ne vous viendrait pas à l’idée mijoter votre repas dans une casserole sale, n’est-ce pas ? (la cuisson des pâtes de retour de soirée à 4h du matin ne compte pas, je précise au cas où…). Il convient donc de s’assurer que l’application du nouvel enduit se fait sur un support propre. Dans le cas de la maçonnerie, cela signifie que l’éventuel ancien enduit est pioché et que les joints friables entre les pierres/briques sont dégarnis sur une profondeur de 2 à 5 cm (selon leur état). On en profite également pour retirer les poussières, mousses, et lichens et pour remplacer les moellons altérés. En clair, il faut que la surface d’accroche soit solide et stable pour assurer une bonne durabilité à l’enduit de mortier.

La maçonnerie fraîchement purgée doit être humidifié dans la masse, jusqu’à 24 heures avant l’application de l’enduit, mais l’eau ne doit plus perler ou ruisseler en surface au moment de l’application de l’enduit. L’humidification de la surface à enduire doit être répétée entre chaque couche. Cela évite que le support de l’enduit n’absorbe l’eau présente dans le mortier et ne laisse pas à la chaux la quantité d’eau nécessaire à sa prise.

En cuisine, un plat est d’autant plus simple à laver que ses restes de nourriture sont humides et le laisser tremper quelques heures permet souvent de faciliter le nettoyage. Pour l’enduit, la même logique s’applique. Sauf qu’il est plus facile de laisser tremper une poêle dans un évier qu’un enduit sur un mur, vous en conviendrez ! Il est donc important de nettoyer les éléments architecturaux (encadrements de menuiseries, sous-bassements,…) tant que l’enduit est encore fluide. Il est aussi possible de protéger les encadrements avec une protection plastifiée, mais comme pour le papier sulfurisé au fond du plat à tarte : le risque de bavures est fréquent !

Enfin, suivant cette même logique, après chaque usage et tant que l’enduit est encore humide, on nettoie les tranchants des truelles, les lames, les taloches, les seaux, la brouette, la bétonnière, etc. En une phrase : faîtes la vaisselle sans tarder !

Règle n°2 : Cuisiner dans un environnement tempéré

Pour respecter les règles de l’art, l’enduit est exécuté dans des températures qui oscillent entre + 8 °C et + 30 °C (l’exposition au soleil en période estivale est à surveiller de près et les périodes de gel en hiver sont à proscrire). En bref, dites-vous que les travaux d’enduit se réalisent sous une plage de températures confortables, ni trop chaudes, ni trop froides. On est pas des bêtes, après tout !

A la fin de la couche, et selon les conditions climatiques du moment, il peut être utile de protéger l’enduit du soleil et de la pluie avec une bâche opaque ou d’un linge tendu sur l’échafaudage pendant au minimum 24 heures. Par temps chaud, ré-humidifier l’enduit appliqué peut lui permettre de faire une meilleure prise. Attention, toutefois, il est recommandé de ne pas arroser en plein soleil un enduit en cours de durcissement. Le laisser sécher au moins 8 heures, puis humidifier à l’ombre par pulvérisation de bas en haut.

Enfin, il faut veiller à protéger la tranche supérieure de l’enduit. Si la protection n’est pas assurée par la toiture ou un un débord saillant (appui de baie débordant par exemple), il peut être nécessaire de rapporter un ouvrage complémentaire.

Règle n°3 : Dresser le plat

Les pires ennemis de l’enduit sont les micro-organismes, les végétaux et les infiltrations d’eau. Chaque micro-fissures et trous dans l’enduit sont autant de lieux où les organismes vivants prennent racines ce qui engendre des traces noires en surface. Ces micro-fissures et trous favorisent la pénétration de l’eau qui lessive l’enduit. L’eau peut aussi par endroit stagner, geler et faire éclater l’enduit périphérique.

Pour toutes ces raisons, il est important d’obtenir une surface d’enduit final la plus lisse possible. En particulier au voisinage des éléments architecturaux (chaînes d’angles, encadrements en pierre, sous-bassements), l’enduit doit être légèrement en retrait ou au même nu que la pierre, mais non en saillie. Sur certains bâtiments, les anciens taillaient une ciselure dans la pierre pour permettre au nu de l’enduit et au nu des pierres d’être sur un même plan.

Parfois, la maçonnerie à enduire peut ne pas vous aider dans votre tâche. En effet, certains joints de maçonnerie, souvent exécutés avec un mortier pauvre (faiblement dosé en liant), s’effritent avec le temps. Dans ce cas, il est nécessaire de regarnir les creux les plus gros avant d’appliquer l’enduit, toujours dans la recherche du résultat le plus lisse et plan possible. Il est également possible que cela génère des spectres (ou fantôme). Pas de panique, ce n’est pas aussi effrayant que ça en à l’air. Il s’agit simplement d’une différence de teinte sur l’enduit qui, après séchage, peut marquer l’emplacement des joints de maçonnerie. Ce phénomène, purement esthétique, naît du fait que l’enduit peut, en fonction du support qu’il recouvre (mortier, pierres de différentes natures et porosité), ne pas faire sa prise à une vitesse uniforme sur toute sa surface. Pour cette raison, il est important de veiller à la planéité des joints de maçonnerie, à corriger leur éventuelles fissurations et à réaliser l’enduit en plusieurs couches. Nous vous en présentons cette méthode étape par étape ici.

Enfin, vous ne serez peut être pas capable (à moins d’avoir beaucoup d’ami.es pour vous aider) de finir la couche de l’enduit en une passe. Dans ce cas, prévoyez des joints de reprises pour diminuer le risque de fissures et de désagrégation. Mais prévoyez quand même d’appeler des copains et des copines, ça peut être long tout seul…

Règle n°4 : Laisser reposer la pâte

Karadoc (Jean-Christophe Humbert) © Alexandre Astier - Kaamelott

De nombreuses recettes de cuisine nécessitent de respecter un temps de cuisson, un temps de repos, parfois les deux. Le mortier chaux/sable a lui aussi besoin de temps pour faire sa prise. Les maçons consultés recommandent d’attendre en moyenne 3 à 4 jours entre chaque couche d’enduit (avec une météo entre 15°C et 25°C). Les documents techniques préconisent même de rallonger ce délai jusqu’à 7 jours par temps frais et humide.

Ce délai permet à la chaux, contenue dans le mortier, de commencer sa carbonatation, et à l’enduit de durcir en profondeur.

Règle n°5 : Éviter les sucres ajoutés et les colorants

Les particules fines et argiles naturellement présentes dans le sable donnent à l’enduit sa couleur (plus d’informations sur le rôle du sable dans l’enduit, ici). Il n’existe pas (encore ?) d’application Yuka pour juger de la qualité d’un enduit, comme on jugerait de la qualité d’un plat préparé. Néanmoins, gardez en tête que, une fois de plus, la même logique s’applique pour les enduits et la nourriture : plus un enduit comporte d’ingrédients différents, moins il sera durable. Aussi, si pour prononcer une teinte vous êtes tentés d’augmenter la quantité de particules fines, veillez à ce que le dosage du colorant reste inférieur à 3 % de la masse de la chaux. Gardez en tête que l’usage de colorant accentue le risque de teinte hétérogène de l’enduit fini. Enfin, dans certaines conditions climatiques froides (sous les 8°C) et humides, cela peut aussi provoquer des phénomènes d’efflorescences.

Règle n°6 : Être amateur.ice de pâtisserie

Au delà de la cuisine, l’enduit, c’est de la pâtisserie. Et pas une vulgaire brioche, oh non ! Une pâtisserie qui se tient fièrement dressée dans l’assiette. Une pâtisserie avec de la texture.

Entremets poire & noisette. Voyez comme son sommet est fluide et lisse, voyez comme sa base semble résistante et capable de tout suporter. © Nicolas Bernardé

L’enduit, c’est pareil. A ceci près qu’il ne se mange pas. Tous les enduits sont constitués d’une charge (sable) et d’un liant (chaux, plâtre, ciment,..). La première couche de mortier qui compose l’enduit est la plus dosée en liant. Or, la dureté d’un mortier est conditionnée par son dosage en chaux. Plus le mortier est dosé en chaux, plus il peut tenir mécaniquement les couches suivantes. Suivant cette logique, la dernière couche est la moins dosée en liant (on dit aussi que c’est la plus maigre) c’est à dire quelle contient en proportion beaucoup plus de sable que de chaux.

Le fait d’appliquer successivement des couches de moins en moins dosée en liant porte le nom de « règle du dosage dégressif ». Cette règle, en plus de la résistance, agit aussi sur la perméance de l’enduit (ou sur sa capacité à transpirer). 

La mise en pratique de ces bases théoriques sur l’enduit chaux/sable vous intéressent ?  Tout se passe par ici.

Les références utilisées pour documenter cet article

BRUDERER, Parc Naturel Régional des Vosges du Nord. (juin 2022).Réaliser des enduits extérieurs à la chaux sur des murs en maçonnerie de pierre et en torchis [Vidéo]. YouTube, 00:45:31. https://www.youtube.com/watch?v=xqzX_FmPJQQ

COHEN. Jérémy Cohen. Techniques d’enduits à la chaux [Vidéo]. YouTube, 00:04:48. https://www.youtube.com/watch?v=FPwmsSYfo8s

DELWICK, L’Archipelle. (février 2022). Comment faire des enduits naturels à la chaux [Vidéo]. Youtube, 01:39:09. https://www.youtube.com/watch?v=xro4pjbE7Xs

LABESSE, O. (2005). Précis d’utilisation de chaux naturelle. Auto-édition. Nantes. p.11

NF DTU 26.1 P1-1 (2008) Travaux d’enduits de mortiers

  • 4.5. Prescriptions générales, communes à tous les enduits : Planéité – p. 13

  • 4.12. Prescriptions générales, communes à tous les enduits : Protection des enduits frais – p. 14

  • 6.3.1 Enduits extérieurs sur maçonneries blocs de béton ou briques : Enduits multicouches en application manuelle : Exécution du corps d’enduit (ou sous-enduit) – p. 17

  • 12.2.2. Enduits sur maçonnerie ancienne : État et préparation du support : Maçonnerie de briques ou de moellons – p.31

  • 12.4. Enduits sur maçonnerie ancienne : Enduits exclusivement à la chaux hydraulique (NHL, NHL Z ou HL) : Conditions d’exécution – p. 32

NF DTU 26.1 P1-2 (2008) Travaux d’enduits de mortiers

  • 6.3 Additifs : Colorants – p. 9

  • 8.2.2 Mortiers : Résistances : Résistance de l’enduit p.12

  • A.1.2 Annexe A : Aspect : Spectres p. 16

PHILIPPON et al. Ministère de la culture. Ouvrage en maçonnerie. (2006).

  • 10.3 Rejointoiement des ouvrages de maçonnerie : Préparation des supports destinés à recevoir un rejointoiement – p. 45

  • 13.1.9 Enduits à neuf et réfection partielle des enduits : Prescriptions générales communes à tous les enduits : Protection des enduits frais et jeunes – p. 59

  • 13.2.1 Enduits à neuf et réfection partielle des enduits : Exécution des enduits à trois couches : Composition des mortiers – p. 61

  • 13.1.4 Enduits à neuf et réfection partielle des enduits : Prescriptions générales communes à tous les enduits : Protection haute – p. 64

TREUSSART, Clément-Louis ; Mémoires sur les mortiers hydrauliques. Imprimerie de Guiraudet (1829) p. 194

Définitions le Dictionnaire du BTP Eyrolles

Définition du Dictionnaire Larousse :

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