Vous êtes encore là ? Quelle ténacité !
Cet article sera l’occasion de tirer les enseignements de ce projet qui m’a occupé une bonne partie de l’automne 2023 et de l’hiver 2024.
Est-elle écolo, cette cuisine ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je précise que toutes les références et ressources que j’ai utilisées pour les calculs d’équivalents CO2, d’impact environnemental, sont listées en pied de cet article. Par ailleurs, lorsque des éléments portent la mention “seconde-main“, cela signifie qu’ils ont été achetés à des particuliers s’en débarrassant. Dans ce cas, j’applique de façon arbitraire (mais qui me semble néanmoins cohérente) une division par 2 des masses d’équivalent CO2.
Afin de ne pas alourdir cet article déjà dense, j’ai gardé mes tableurs de calcul pour moi. Mais si vous voulez les consulter, en discuter ou si vous avez la moindre autre remarque, n’hésitez pas à m’en faire part dans la section commentaires, ou par mail (visible ici).
Bilan carbone :
La cuisine est composée de :
- 345 kg de bois de tilleul massif ; soit – 513 kg eq. CO2
- 460 kg de panneaux mélaminés (pour les caissons) ; soit – 585 kg eq. CO2
- 20 kg d’acier (vis, charnières, coulisses de tiroir) ; soit + 40 kg eq. CO2
- 10 kg d’aluminium (rail de fixation des caissons hauts et profilés pour raidir les portes cintrées) ; soit + 182 kg eq. CO2
- 1 kg de laiton (boutons de porte) ; soit + 2 kg eq. CO2 (seconde-main)
- 164 kg d’équipement électro-ménager (four, micro-onde, plaques de cuisson, réfrigérateur, lave-linge) ; + 607 kg eq. CO2 (seconde-main)
Au total, ces matériaux qui forment aujourd’hui le mobilier de la cuisine représentent – 262 kg eq. CO2 (N.B. je n’ai pas pris en compte l’impact de leur acheminement).
L’impact carbone est de signe négatif et cela signifie que la cuisine a “emprisonné” plus de carbone qu’elle en a généré. Ce résultat peut pousser à se réjouir. D’autant plus que cela va bien dans le sens du discours dominant, qui prône le bois comme l’Alpha et l’Oméga de la “construction durable” (si tant est que cette expression ait vraiment un sens).
Mais, tout aussi utile soit-elle, la comptabilité carbone prend – selon moi – une place plus importante qu’elle ne devrait dans l’appréhension de notre impact sur le reste du vivant. Je crois même qu’il serait hypocrite de ma part de m’auto-congratuler sur le seul bon résultat de ce bilan-carbone tant il masque certaines réalités physiques essentielles. Laissez-moi vous présenter ces mêmes chiffres sous un autre angle.
Bilan environnemental :
La cuisine est composée de :
- 345 kg de bois de tilleul massif ; soit un tronc d’arbre dont la cime atteignait 15 m de haut environ (la hauteur d’un immeuble de 5 étages). Cet arbre était aussi l’habitat naturel de nombreuses espèces animales, végétales et plus globalement, participaient à l’équilibre de leur milieu.
- 460 kg de panneaux mélaminés (pour les caissons) ; soit 80 kg de résine mélamine-formaldéhyde, une substance avérée – à certaines concentrations – irritante, neurotoxique, cancérogène, reprotoxique et génotoxique, pour les personnes qui la fabriquent comme pour celles qui utilisent les produits qui en contiennent.
- près de 200 kg de métaux divers (électroménager et élément de fabrication du mobilier) ; dont les pays dans lesquels sont extraits ces métaux présentent des considérations environnementales et humaines (bien) moins élevées que nos standards européens.
Ainsi, au-delà des chiffres, je considère qu’il est de ma responsabilité d’ingénieur et d’architecte d’avoir conscience de la réalité physique, humaine et environnementale derrière chaque matériau de construction. Chaque gramme de matière mis en œuvre sur un chantier dont j’ai la charge, engage ma responsabilité envers le milieu dans lequel ce gramme a été prélevé.
Aussi, je considère que toute activité humaine qui a lieu selon notre mode de vie occidental a un impact (plus ou moins) néfaste sur le reste du vivant non-humain. Mais (même si je prends des douches froides et que j’essaie de ne pas trop monter le thermostat du chauffage en hiver) je reste attaché au confort que permet ce mode de vie. Ainsi, afin de diminuer mon sentiment de culpabilité, j’essaie de rendre mon impact le moins néfaste possible et même si tout n’a pas été parfait, je pense avoir limité l’incidence que cette cuisine a eu sur son environnement.
Si c’était à refaire…
… je n’aurais pas recours au mélaminé (qui a servi pour les caissons). Nous l’avons vu, Ce type de “bois” pose de nombreuses questions sanitaires et environnementales. Après avoir discuté avec de nombreux constructeurs l’année passée, fabriquer des caissons avec du bois massif est en réalité bien plus simple et plus économe que je ne le pensais.
… j’expérimenterais le collage avec de la colle artisanale. J’ai vu passer sur Internet des recettes à base de farine, je suis curieux du résultat. De manière générale, j’essaierai d’utiliser plus de colle blanche (ou artisanale) pour moins utiliser de colle polyuréthane (colle utilisée en charpente aux performances surdimensionnées pour mon usage).
… j’anticiperais davantage le temps de fabrication (même si ce chantier m’a permis de gagner en dextérité et que je serai indéniablement plus rapide et efficace à le refaire).
Mais surtout, si c’était à refaire, j’emploierais d’autres matériaux ou je m’imposerais d’autres contraintes. Ce qui me motive dans tout ce que j’entreprends, c’est d’apprendre quelque chose de nouveau en faisant.
Les leçons personnelles que j’en tire
J’en parle dans l’article introductif du dossier, ce projet de fabrication est pour moi un baptême du feu qui comporte différents objectifs à atteindre :
- tester ma capacité à embrasser, seul, la conception d’un projet tout autant que sa fabrication et d’en maîtriser chacune des étapes
- chercher à tous les niveaux (choix/provenance/acheminement/mise en œuvre des matériaux) l’impact environnemental le plus faible possible
- aboutir à un résultat de qualité quasi-professionnelle
- fabriquer la cuisine en moins d’un mois
Ce dernier point (qui n’a pas été respecté) mérite d’être lu avec du recul. Cette durée a été fixée arbitrairement et de manière très naïve face à l’ampleur de la tâche. Cela me permet de mettre en évidence un enseignement très important de ce chantier. Être économe demande du temps : ce que j’ai économisé en matière, je l’ai dépensé main d’œuvre. Je crois d’ailleurs que nous tenons ici une réflexion beaucoup plus profonde sur l’industrie du bâtiment dans son ensemble. A méditer.
Autrement, je suis très satisfait de la manière dont les autres objectifs ont été remplis. J’ai bien entendu encore des pistes d’amélioration, comme je l’expose plus haut. Mais le résultat m’encourage à poursuivre dans cette direction d’autant que concevoir et confectionner la cuisine m’a rendu profondément heureux et épanoui au quotidien (c’est là un objectif que je n’avais pas listé, à tort !).
Néanmoins, je n’oublie pas que ce projet a vu le jour grâce à une condition très particulière : j’ai été mon propre client. Il convient donc de rester précautionneux avant d’en extrapoler les conclusions du bilan économique que j’en tire :
Vous vous souvenez des problèmes de mathématiques que l’on doit résoudre au collège ? J’en ai un pour vous.
Énoncé : Quentin reçoit deux devis de deux menuisiers différents pour refaire sa cuisine. Mais il juge que les montants sont un peu trop élevés pour sa bourse. Il décide alors de démissionner de son travail dans un bureau pour fabriquer et assembler lui-même le mobilier de sa cuisine. Le chantier se passe bien et c’est pour le jeune entrepreneur fougueux le moment des comptes :
- Les devis des menuisiers sont de 10 000 et 13 000 €.
- En matière première, location d’atelier + machines et autres frais divers, il doit débourser 3600 €.
- Pour fabriquer le mobilier et en réaliser le montage, il lui faut 3 mois et 3 semaines (à raison de 5 jours de travail par semaine).
Question : Sur la base d’une moyenne entre les 2 devis, combien Quentin s’est-il auto-rémunéré chaque mois passé à fabriquer la cuisine ?
Réponse : Avec un devis de menuisier moyen à 11 500 € que nous prendrons comme référence, auquel nous retranchons le prix des frais de matériel et location, nous obtenons pour la main d’œuvre : 11 500 – 3600 = 7 900 €. Rapportée sur 3 mois et 3 semaines (soit 3,7 mois), j’ai “payé” ma propre main d’œuvre 7900/3,7 = 2135 €/mois. Le résultat est encourageant mais à remettre dans son contexte très particulier avant d’en tirer les conclusions. En effet, cela masque de nombreux frais qui surviennent dans le cadre de ma professionnalisation (location d’un local adapté, achat et amortissement de machines, anticipation d’éventuels creux de l’activité, assurances, impôts et taxes diverses,…).
Et la suite à présent ?
A défaut de pouvoir tirer des conclusions économiques, je peux toutefois affirmer que ce premier projet est un appel à passer à l’échelle supérieure. Le mobilier de la cuisine, c’était l’incipit du roman, le tutoriel du jeu vidéo, le vélo avec les roulettes (choisissez la métaphore qui vous parle le plus). Ne vous méprenez pas, ce n’est pas de la prétention de ma part. Le résultat de la cuisine est perfectible sur de nombreux points et j’aurai évidemment encore beaucoup à apprendre avant de pouvoir me prétendre menuisier de talent. Mais ce qui m’intéresse est ailleurs : je souhaite poursuivre cette démarche de conception/confection. Je souhaite accompagner les personnes qui veulent rénover un bâtiment par elles-mêmes. Je souhaite concevoir avec elles leurs rénovations, en apportant mon expertise d’ingénieur en génie civil & d’architecte. Je souhaite enfin les épauler de mon expérience et de mes deux mains lorsque ces personnes entreprendront les travaux par leurs propres moyens.
Pour conclure, il ne me reste qu’à vous remercier, lectrices et lecteurs qui en êtes arrivé.es jusque-là ! Aussi, si ma démarche vous a convaincus, je me permets de vous demander de me donner de la force et d’en parler autour de vous. Avec votre aide, je pourrai gagner plein d’argent et me payer un yacht plus gros que celui de Martin Bouygues (bon, à réfléchir tout de même, parce qu’il me semble que l’empreinte environnementale d’un yacht n’est pas très bonne…).
A bientôt !
QB
P.S. pour les curieuses et les curieux
Des ressources qui m’ont été bien utiles pour la fabrication de la cuisine :
- https://www.youtube.com/@OlivierVerdier
- https://www.youtube.com/@lacharpenterieMaillienMichael
- https://www.youtube.com/@Paul.Sellers
- https://www.youtube.com/@SylviePereiraSyPer
Des données qui m’ont été bien utiles pour estimer l’impact environnemental de la cuisine :
- relatif aux métaux :
- https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluer-lexternalite-carbone-metaux
- https://impactco2.fr/outils/electromenager
- relatif au bois :
- https://www.researchgate.net/publication/373740755_The_Carbon_Sequestration_Potential_of_Silky_Oak_Grevillea_robusta_ACunn_ex_RBr_a_High-Value_Economic_Wood_in_Thailand
- https://pdf.archiexpo.fr/pdf/polyrey/fiche-technique-panoprey-panneau-melamine/49577-355913-_2.html