# 2 LES ARCHITECTES SOUS LA MENACE DES RÉCENTS PROGRÈS DE L’I.A. ? [ARCHITECTURE & I.A.]

NB 1 : l’article que vous vous apprêtez à lire a été rédigé par un humain. Ce qui est une excellente nouvelle car vous pourrez utiliser la section commentaire pour échanger avec l’auteur et faire mutuellement évoluer nos manières de voir le monde. Et ça, c’est beau!

NB 2 : Les avancées en matière d'”intelligence artificielle” me rendent plus inquiet qu’enthousiaste. Malgré ce biais, je tenterai de rester aussi factuel que possible.

[Aparté  : En 1956, le mathématicien américain John McCarthy (1927-2011), conceptualise la notion d’Intelligence Artificielle (IA). Il s’agit de la capacité de programmes informatiques à copier le fonctionnement de certains traits du cerveau humain. En cela, le terme intelligence est discutable et nous préférerons ici utiliser la notion d’apprentissage automatique (ou machine learning en anglais). Si vous voulez creuser ce sujet,  nous vous recommandons par exemple les travaux de Justine Cassell (chercheuse en interaction humain-machine et membre du conseil national du numérique français).]

Le déploiement de Chat GPT a permis au grand public d’appréhender le potentiel de l’apprentissage automatique. Stanislas Chaillou, chercheur en apprentissage automatique et architecte, explique que cette technologie dépend de « la capacité des concepteurs à transmettre leurs intentions à la machine. Pour devenir un assistant fiable, la machine doit être formée, impliquant que les architectes relèvent deux défis principaux : sélectionner dans le vaste domaine de l’IA, les outils appropriés, et choisir un niveau d’abstraction pertinent et des qualificatifs mesurables, qui puissent être communiqués à la machine»[1]. En d’autres termes, pour que la machine puisse générer de l’architecture, il faut que l’architecte le lui enseigne.

Pour répondre à cet enjeu, les recherches théorisées en 2014 par Ian Goodfellow chez Google Brain, sur les réseaux de neurones génératifs adverses (Generative Adversarial Neural Networks, GAN) sont particulièrement intéressantes. Les GAN ont la capacité de générer automatiquement des images qui n’existent pas mais qui semblent réelles. Par exemple, produire des clichés de visages humains qui n’existent pas dans la réalité.

 

Portraits fictifs générés par un GAN. Le programme se base sur des visages de personnes réelles. Il en extrait des récurrences, des motifs (patterns), des similarités, qui lui permettent ensuite de construire de nouveaux visages, totalement artificiels © Nvidia

Cela passe à travers un processus d’apprentissage très similaire à la manière dont l’humain lui-même est formé. Les réseaux de neurones génératifs adverses (GAN) fonctionnent selon un binôme générateur (l’élève) / discriminateur (l’enseignant).

Au préalable, l’utilisateur humain fournit une base de données au GAN, dans notre exemple, des photographies de personnes qui existent réellement. Le générateur du GAN cherche ensuite à produire une image qui ressemble à cette base de données. Il crée un portrait fictif. Le discriminateur du GAN juge en retour la vraisemblance de l’image produite par le générateur. En d’autres termes, le discriminateur estime si l’image produite provient de la base de données initiale ou si elle a été créée par le générateur.

Plus le GAN est entraîné, plus il sera compliqué pour le discriminateur de discerner si l’image a été produite par le générateur, ou si elle provient de la base de données. Cela signifie que le générateur est capable de produire de lui-même des images de plus en plus réalistes.

Sur ce principe, les chercheurs Caitlin Mueller et Renaud Danhaive du Digital Structures Lab MIT de Cambridge qui ont travaillé en 2018 sur la génération automatique de structures[2]. Si la trame structurelle régulière s’est longtemps imposée comme la référence pour résoudre les problèmes de structure dans les bâtiments, les progrès en apprentissage automatique facilitent désormais le recours à des structures irrégulières, plus adaptées aux contraintes du bâtiment. En particulier, les chercheurs ont ici développé une structure en treillis, dont les tirants sont disposés par apprentissage automatique afin de minimiser la quantité de métal employé. Il est important de comprendre que l’apprentissage automatique permet de générer différentes propositions structurelles par mimétisme, mais que la stabilité de ces propositions n’a nullement été vérifiée. L’intérêt d’une telle démarche tient surtout de l’exploration esthétique que de la prouesse structurelle.

Sur ce principe, les chercheurs Caitlin Mueller et Renaud Danhaive du Digital Structures Lab MIT de Cambridge qui ont travaillé en 2018 sur la génération automatique de structures[3]. Si la trame structurelle régulière s’est longtemps imposée comme la référence pour résoudre les problèmes de structure dans les bâtiments, les progrès en apprentissage automatique facilitent désormais le recours à des structures irrégulières, plus adaptées aux contraintes du bâtiment. En particulier, les chercheurs ont ici développé une structure en treillis, dont les tirants sont disposés par apprentissage automatique afin de minimiser la quantité de métal employé. Il est important de comprendre que l’apprentissage automatique permet de générer différentes propositions structurelles par mimétisme, mais que la stabilité de ces propositions n’a nullement été vérifiée. L’intérêt d’une telle démarche tient surtout de l’exploration esthétique que de la prouesse structurelle.

 

Exemples d’images de structures aux performances semblables générées par IA / © MUELLER, DANHAIVE
Exemples d’images de structures aux performances semblables générées par IA / © MUELLER, DANHAIVE

Les projets du Digital Structures Lab MIT ou de l’UC Berkeley Artificial Intelligence montrent des résultats dont l’application immédiate reste pour l’instant limitée. Toutefois, nous attirons l’attention sur la capacité de la machine à renforcer considérablement le vocabulaire technique voire esthétique de l’architecte. Les formes que l’algorithme génère sont parfois contre-intuitives et ouvrent alors un nouveau champ d’exploration pour l’architecte ou l’ingénieur. S’éloignant des schémas traditionnels, l’apprentissage automatique permet de faire des sauts dans l’imaginaire créatif du concepteur et devient ainsi force de proposition.

Un parallèle avec le jeu d’échecs nous permet d’illustrer ces “sauts dans l’imaginaire créatif”. En effet, l’ordinateur est capable de surpasser l’humain depuis 1997 avec la victoire du supercalculateur d’IBM, Deep Blue, sur le champion du monde d’alors, Garry Kasparov. Pourtant, l’engouement pour ce jeu persiste et des tournois sont toujours organisés à travers le monde mettant en compétition des êtres humains. Ainsi, le fait que la machine surpasse l’humain aux échecs n’a pour autant pas détourné notre intérêt pour cette discipline. Au contraire, observer des matchs entre ordinateurs permet de découvrir de nouvelles stratégies et élargit le répertoire technique des plus grands champions humains. Matthieu Cornette, grand maître international et champion de France d’échecs explique que l’ordinateur est capable de proposer des idées totalement inédites auxquelles les humains n’auraient vraisemblablement jamais pensé. Le saut technologique, permis par développement de l’ordinateur et de l’apprentissage automatique, bouleverse et transcende alors les siècles de stratégies mises au point par les humains[4].

Garry Kasparov lors de son duel contre l'algorithme Deep Blue de IBM / © NC

Alors, est-ce que les architectes vont être remplacés par l'”intelligence artificielle” ?”

Tout comme les joueurs d’échecs se sont inspirés de stratégies inédites proposées par l’ordinateur, il est envisageable que les architectes s’inspirent des formes générées par apprentissage automatique pour aboutir à une nouvelle architecture. En cela, les récents progrès en matière d’apprentissage automatique appliqué à l’architecture sont dans la continuité des recherches en paramétrisme, pour lesquelles nous avons constaté l’émergence d’un nouveau vocabulaire formel.

Néanmoins, la comparaison entre le joueur d’échecs et l’architecte présente une limite essentielle. Le but du joueur d’échecs est de vaincre le joueur adverse le temps d’une partie. Le but de l’architecte est de concevoir un projet d’architecture avec et pour l’être humain qui l’habite.

Ainsi, peut-être qu’il faudrait plutôt se poser la question : pour quel être humain doit-on concevoir le projet d’architecture ?

Si la notion d'”être humain” désigne le genre humain dans tout ce que nous partageons de semblable, alors le projet doit être conçu pour “satisfaire” le plus grand nombre. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que l’apprentissage automatique sera très bientôt capable de concevoir une architecture générique et désincarnée. Notons d’ailleurs que, même sans recours à l’apprentissage automatique, ce type d’architecture est déjà produite à large échelle en France et à l’étranger. Claude Lévi-Strauss déplorait ainsi dès 1955 dans Tristes Tropiques : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat »[5]. Dans ce cas de figure, l’architecte ne pourra pas rivaliser avec l'”intelligence artificielle“. Les exemples cités précédemment laissent présager de l’efficacité avec laquelle l’apprentissage automatique pourra, dans un futur proche, extrapoler les bâtiments existants pour en générer une multitude de variations.

[La rétrospective historique que nous avons proposée montre que seule une cinquantaine d’années séparent les premiers logiciels de Conception Assistée par Ordinateur aux algorithmes d’apprentissage automatique qui génèrent des structures et façades.]

Au contraire, si la notion d'”être humain” désigne l’individu dans toute la singularité qui le caractérise alors le projet doit réinterroger chaque élément à concevoir. Qu’est ce qu’un espace d’accueil ? Qu’est ce qu’une chambre ? Qu’est-ce qu’un bureau ?… A toutes ces questions, il existe autant de réponses différentes que d’êtres humains différents. Dans ce cas, le rôle de l’apprentissage automatique semble très limité. Il pourra être utilisé ponctuellement comme un assistant à l’architecte pour générer des documents graphiques. Ou à la manière des joueurs d’échecs, permettre des “sauts intuitifs” pour se voir proposer des solutions techniques spécifiques auxquelles il n’aurait pas pensé. Mais l’unicité du projet conçu d’une part, et le fonctionnement mimétique de l’apprentissage automatique d’autre part, rendent très improbable le remplacement de l’architecte par “l’intelligence artificielle“.

En bref, tout est question de nuance et de contexte. Oui, il existe un type d’architecture où l’apprentissage automatique pourrait remplacer l’architecte. Mais pouvons-nous seulement appeler cela de l'”architecture” ? En conséquence, pouvons-nous aujourd’hui encore appeler “architecte” une personne dont le métier est menacé par l’apprentissage automatique ? La question reste ouverte.

 

[1]CHAILLOU, S. Op. cit.

[2] MUELLER, C. DANHAIVE, R. Digital Structures Lab MIT, Expostion Pavillon de l’Arsenal – Intelligence Artificielle et Architecture. 02-04 2020

[3] ISOLA P., ZHU, J-Y., ZHOU, T., EFROS, A., Image-to-Image Translation with Conditional Adversarial Networks, UC Berkeley artificial intelligence, Novembre 2018

[4]CORNETTE, M. Les plus belles idées de l’ordinateur en 2020 [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=yXJGOJj4KSM

[5] LEVI-STRAUSS, C. Tristes Tropiques. Pocket.

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